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Comment se représenter les nombres infiniment grands ou infinitésimaux utilisés en analyse non standard ?


Il existe plusieurs "modèles" de l'analyse non standard. Il faut d'ailleurs signaler que l'existence de modèles non standards de l'arithmétique (modèles faisant donc intervenir des entiers infiniment grands, c'est à dire strictement supérieurs à tout entier naturel) est nécessaire (voir ici ).
Ces modèles diffèrent, notamment par le cardinal de l'ensemble des nombres considéré. Cependant, tous aboutissent à une structure possédant certaines caractéristiques particulières.

Modèle de Robinson (1961)

Dans ce modèle, l'ensemble des nombre $^{\ast} \R $ est un surcorps de $\R$. Ses éléments peuvent être vus comme des suites de réels (par exemple : $\pi$ n'est pas le nombre qui vaut $3,1415...$, ni la limite de la suite des troncatures $( 3 ; 3.1 ; 3.14 ; 3.141 ; 3.1415 ; ... )$, mais la suite elle-même).
Si deux suites $u$ et $v$ convergent vers la même limite finie, on note $u \approx v$ : on dit qu'elles sont infiniment proches. Ainsi, chaque nombre de $^{\ast} \R$ est entouré d'un halo d'autres nombres qui lui sont infiniment proches.

Par exemple, les nombres correspondant aux suites $\left(\frac{1}{n} \right)_{n \in \N^\ast}$ ou $\left(\frac{1}{n^2} \right)_{n \in \N^\ast}$ sont dans le halo de 0 (qui est la suite constante égale à 0).
On a : $\left(\frac{1}{n^2} \right)_{n \in \N^\ast} < \left(\frac{1}{n} \right)_{n \in \N^\ast}$ et $\left(\frac{1}{n} \right)_{n \in \N^\ast} < (a)$ quelle que soit la suite $(a)$ constante égale à $a$, avec $a$ un réel strictement positif.
Les suites $\left(\frac{1}{n} \right)_{n \in \N^\ast}$ et $\left(\frac{1}{n^2} \right)_{n \in \N^\ast}$ sont donc des infinitésimaux.
Il faut cependant signaler que la théorie d'Abraham Robinson utilise un procédé non constructif, ce qui interdit par exemple de pouvoir dire si la suite $((-1)^n)_{n \in \N^\ast}$ est supérieure ou inférieure à 0.

Représentation des réels non standards limités

schéma de la droite des réels

On représente habituellement $\R$ par une droite orientée : au voisinage de chaque nombre réel (par exemple le nombre 1), il faut imaginer un ensemble dense de nombres : si on choisit deux de ces nombres, aussi proches que l'on veut l'un de l'autre, il y a d'autres réels qui s'intercalent entre eux :

schéma de la droite des réels non standards

Maintenant, si on représente la droite des réels non standards au niveau des réels limités (c'est à dire non infiniment grands), la situation est à peu près la même : si on prend un nombre aussi proche que l'on veut de 1, une infinité de réels viennent s'intercaler entre ce nombre et 1. Mais autour de chacun de ces nombre réels, il faut imaginer à gauche et à droite un halo d'infinitésimaux, dense également mais plus proche du nombre que tous les réels standards.

schéma du halo de zéro

Voici une autre tentative de représentation : la droite des réels est dessinée en orange et 0 est indiqué. Dans le halo de zéro on a représenté trois nombres infinitésimaux, c'est à dire trois suites convergeant vers 0. Elles sont représentées par les courbes dans le plan orthogonal à la droite des réels passant par 0. On peut les ordonner : la suite représentée par la courbe en pointillée est le plus petit de ces nombres infinitésimaux puisqu'il est inférieur à 0. Viennent ensuite, supérieurs à 0, le nombre représenté par la courbe noire, puis celui représenté par la courbe rouge.

Et les infiniments grands ?

Pour ce qui concerne la représentation des nombres infiniment grands, les choses sont un peu plus compliquées.
Intéressons-nous uniquement aux entiers naturels infiniments grands, appelés hypernaturels : dans le modèle de Robinson, ce sont grosso-modo les suites d'entiers naturels qui tendent vers $+\infty$.

Soit $u$ un hypernaturel, correspondant à une suite $(u_n)_{n \in \N}$. On considère, pour un entier standard $d$ fixé, la suite $u(d)$ obtenue en ajoutant $d$ à chaque terme de $u$. $u(d)$ est définie par : $u(d)_n=u_n+d$. On voit clairement que cette suite est supérieure à $u$. On a ainsi : $...<u(-2)<u(-1)<u=u(0)<u(1)<u(2)<...$. Toutes ces suites peuvent être représentées par des points régulièrement espacés, comme on représente $\Z$.

On peut définir une relation d'équivalence ainsi : on note $u \sim v$ lorsqu'il existe un entier relatif $d$ pour lequel $v=u(d)$
Considérons maintenant deux hypernaturels distincts $u$ et $v$ tels que $v$ n'est égal à aucun des $u(d)$ quel que soit l'entier naturel standard $d$ (c'est à dire que $u$ n'est pas équivalent à $v$ pour la relation d'équivalence $\sim$). On peut prendre par exemple les hypernaturels correspondant aux suites $u=(n)_{n \in \N}$ et $v=(n^2)_{n \in \N}$. On a, quel que soit l'entier relatif $d$, $u(d)<v$ puisque $u_n + d \geq v_n$ seulement pour un nombre fini d'indices $n$.
On peut alors trouver un autre hypernaturel strictement compris entre $u(d)$ et $v(d')$ quels que soient $d$ et $d'$ : par exemple $w=\left( \lfloor n^{3/2} \rfloor \right)_{n \in \N}$ fait l'affaire.
Plus généralement, on peut toujours trouver un tel nombre hypernaturel strictement compris entre deux hypernaturels $u$ et $v$ avec $u(d)<v(d')$ pour tous $d$ et $d'$ : par exemple en posant $w=\lfloor \frac{u+v}{2} \rfloor$. Cela signifie que l'ensemble des hypernaturels quotienté par la relation d'équivalence $\sim$ est dense...

On peut donc imaginer une représentation des hypernaturels ainsi :

Modèle de Nelson (1977)

Nelson a proposé une axiomatique spécifique pour l'analyse non standard (nommé IST). Ainsi, il n'y a plus besoin de construire les nouveaux nombres : on décrète qu'ils existent et on donne quelques axiomes qui structurent leur utilisation. Nelson a introduit le nouveau prédicat "standard" (qui n'est pas défini, de même que la notion d'ensemble n'est pas définie dans le système axiomatique couramment employé). Il y a ainsi des entiers standards, des fonctions standards, des ensembles standards... et bien sûr, à chaque fois, d'autres qui sont "non-standards". Il y a aussi trois nouveaux axiomes qui viennent permettre certaines choses (et en empêcher d'autres).

Dans l'ensemble $\N$ lui même, il existe des nombres non standards et ils sont plus grands que tous les entiers standards (c'est à dire qu'ils sont "infiniment grands" ou en tous les cas "inaccessibles" pour nous).
Les entiers standards appartiennent tous à un ensemble fini, qui contient aussi des non-standards. L'expression "ensemble des entiers standards" est interdite par les nouveaux axiomes, ce qui fait qu'il n'existe qu'un nombre fini d'entiers standards, mais qu'on ne peut pas définir ce nombre : la limite entre standards et non standards reste floue et indéfinie.

Le reste des calculs et des raisonnements ressemble à ce qui a été décrit plus haut. Par exemple, il existe des réels positifs inférieurs à tous les réels positifs standards (ce sont les infinitésimaux). Ou encore : pour chaque nombre limité $x$ (inférieur en valeur absolue à un entier standard), il existe un unique nombre standard $st(x)$ à distance infinitésimale de $x$ (c'est la partie standard de $x$, au halo de laquelle $x$ appartient)... Voir ici une démonstration, dans ce formalisme non standard IST, du théorème fondamental de l'analyse.

Quelques liens.

Wikipédia : Analyse non standard.

Wikipédia : modèle non standard de l'arithmétique

André Pétry : Balade en analyse non standard sur les traces de A. Robinson

Thierry Bautier : Des nombres infiniment petits et des entiers infiniment grands mais définis à l'unité près

V. Gautheron, E. Isambert : Lire l'analyse non standard